Découvrez une partie de la nouvelle scénographie: "Les chartreux et l'art".
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Le visage de Bruno ? Caché en Dieu seul
Une première toile nous a permis de comprendre ce que la symbolique pouvait révéler de l’âme de Bruno, au fond son plus irréductible visage que nul vieillissement ne peut atteindre.
Une autre toile parachève cette lecture : une œuvre d’un anonyme français du XVIIe nous offrant un Bruno presque replié sur lui-même, au visage ombré, impénétrable. Que peut avoir à nous dire un tel tableau, plus mystérieux que sensiblement beau ?
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En regardant cette représentation de Bruno en méditation au désert, on voit apparaître nettement la volonté d’une construction en plans séparés. Immédiatement s’impose à gauche celui des ravins, du gouffre, de la vallée, dressant quasiment une muraille invisible mais à vocation clairement affichée. Celle d’un rempart à l’abri duquel Bruno demeure presque allongé, donc en paix. Un autre plan, étonnamment précis, contrairement à la logique picturale, donne à la bâtisse dressée du fond, allégorie du port arrimé aux nuages, une netteté parfaite, quasi palpable, celle du Ciel, donc la vie éternelle. Installé loin des vallées, tendu vers les hauteurs aux détails ciselés, Bruno est bien cet homme de la solitude sur le visage duquel le Christ, seul en croix, éclaire un front parfait où brille une lumière. Plus qu’un visage à comprendre, c’est ici son identité à recevoir.
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Le visage de Bruno ? Ô bonitas….
Vous le devinez nous n’avons aucun portrait de Bruno. Malgré de nombreuses représentations peintes, sculptées, nous ne connaissons pas ses traits.
Pourtant nous avons choisi de présenter dans les pièces le concernant, deux toiles. Un visage, œuvre anonyme du XVIIIe, et sa personne, repliée dans la prière, œuvre d’un autre anonyme français, celle- ci du XVIIe. Ces artistes inconnus auraient-il quelque chose à nous dire qui lève le voile ?
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La première toile nous apporte en effet quelque chose de très éclairant. Bien mieux qu’un tracé de front ou d’yeux, ce visage est celui de son âme. Il semble s’être figé sur ces mots que Bruno disait, semble-t-il fréquemment, à la fin de sa vie : « Ô bonitas ! » ; que l’on traduit par « Oh Bonté de Dieu ! ». Bruno est en effet dans une telle union à Dieu que tout mot est vain. Il est confondu, interdit par cette présence. Il ne sait que dire combien Dieu est Bonté, Amour, le balbutiant presque dans ce « Ô bonitas » que la pose un peu naïve du visage, sinon béate, atteste. C’est qu’il y a justement là du jeune enfant qui regarde son père, ébahi et admiratif….
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Hugues et Bruno dans le V de la victoire ?
Pièce majeure des salles consacrées à Bruno dans la nouvelle scénographie, ce grand tableau de 2 mètres de haut est une des œuvres fortes de la fameuse copie du Cycle saint Bruno de Le Sueur ; réplique à laquelle le maître français aurait participé.
On se souviendra que les 22 toiles de l’œuvre originale faite pour les chartreux de Paris, sont exposées au Louvre.
Qu’en dire selon une lecture symbolique ?
La construction est quasiment une charpente ! Voyez-là, dominée par les diagonales d’un V. Un V vde la victoire en effet. Pas tant celle des êtres que de Dieu Lui-même qui, par le jeu des rencontres, des amitiés, voit arriver Bruno dans ce vallon clos. Dieu en effet protège son plan livré entre de fragiles mains humaines. Clôture protectrice d’une nature vive : les montagnes à droite, les forêts à gauche que les tempêtes dont on imagine la trace, entremêlent. Au cœur de ce V la main d’Hugues se dresse, vecteur du doigt de Dieu. C’est le même doigt que dans la Création de l’homme au plafond de la Sixtine. Une direction est montrée participant de la re-création de l’homme nouveau, engagé dans un face à face contemplatif, seul à seul et réconcilié.
A cette main répond une autre main qui semble vouloir retenir la merveilleuse réalité! Que rien ne passe ! Que rien ne s’évanouisse !
Et pour l’incarner solidement, il y a ce vis-à-vis de Bruno et d’Hugues.
Pourquoi ne voit-on pas le visage de Hugues ? Y a-t-il un sens à cela au-delà de questions strictement techniques ?
On ne voit pas son visage car son identité vraie ici, c’est la direction qu’il donne à Bruno, c’est sa main. Si l’on avait peint son visage fut-ce de trois quart, sa main serait devenue secondaire. Or non. Elle est première. Tout appuie la direction donnée.
Quant à celui de Bruno, il n’a de sens que dans son attention à Hugues, messager depuis l’affaire des sept étoiles. Il est comme son traducteur, son passeur. Tous deux sont dans une proximité saisissante car Bruno étreint la vision de Hugues, il la fait sienne. Il ne regarde pas le vallon, il regarde le désir de Dieu dans ce passeur, ce collaborateur de la grâce…
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Deux Cartes parlent…
Dans la salle Renaissance de la Correrie, parmi les Cartes exposées -ces fameux tableaux de monastères en vue « Cavalière » - deux attirent l’attention. Celles de Bourgfontaine et celle de Bourbon-lez-Gaillon. Réalisées en 1687 elles sont signées d’un élève du peintre Charles Le Brun premier peintre du roi Louis XIV, Louis Licherie.
Au-delà d’une facture immédiatement séduisante par sa richesse de couleurs ordonnée aux ocres et aux bleus, la construction est clairement posée : une verticale tirée entre ciel et terre, traversée par des diagonales ordonnant le monastère, notamment celui de Bourbon-lez-Gaillon.
Ce que l’on est invité à lire aujourd’hui, ce sont les éléments illustrant parfaitement la devise des chartreux : « La croix demeure stable tandis que le monde tourne ».
Regardons le ciel. Subsistent les traces d’une tempête. Les nuages noirs portent leurs ombres sur le paysage et pourtant la lumière passe, rien ne l’empêche. Voyez ce bleu éclatant qui semble avoir percé le ciel pour se poser sur les toits de l’église et des cellules. Ce bleu n’a rien d’un bleu d’ardoise ! Non, c’est le bleu du ciel.
Voilà qui illustre parfaitement la devise. La croix demeure stable, c’est-à-dire : la rédemption acquise par la victoire de la Résurrection sur la mort du Christ, est sans retour possible, inamovible. Quoiqu’il advienne des tourmentes, des tempêtes du monde, passées et à venir, cette Rédemption est acquise.
Comme le bleu du ciel, symbole de la grâce, elle traverse les contradictions, les oppositions, les ouragans du monde…Rien, à terme, ne lui fait obstacle.
Comprenons que cette toile réalisée un siècle après le Concile de Trente exprime combien l’Eglise aussi demeure au-delà des tourmentes…